Malika Sorel: «Le “front républicain” prend en otage l'élection présidentielle»
Par Malika Sorel-Sutter
Publié le 12/04/2022 à 11:37, mis à jour le 12/04/2022 à
15:34
FIGAROVOX/TRIBUNE - L'essayiste établit un lien entre
l'évolution démographique de la France et le score de Jean-Luc Mélenchon, qui a
séduit une partie significative de l'électorat musulman. Elle estime, par
ailleurs, que la notion de «vote utile» est étroitement corrélée à
l'omniprésence des sondages.
Ingénieur de l'École polytechnique d'Alger, major du MBA de
Sciences Po Paris, Malika Sorel est ancien membre du Haut Conseil à
l'intégration, institution rattachée au Premier ministre. Elle est l'auteur de Décomposition
française (éditions Fayard, 2015) qui a reçu le prix «Honneur et Patrie» des
Membres de la Société de la Légion d'honneur, et de Les Dindons de la farce
(Albin Michel, 2022).
Depuis dimanche soir, un grand nombre de raisons sont
avancées pour expliquer la déroute de la droite et l'ascension de Jean-Luc
Mélenchon devenu, à lui seul, le «vote utile» pour toute la gauche ; mais la
vraie raison n'est jamais évoquée.
Étrangement, une variable décisive, à savoir l'évolution de
la démographie électorale, se trouve passée sous silence. Un petit rappel
s'impose. Dès 2011 Terra Nova, le laboratoire d'idées de la gauche, décrit «la
France de demain, face à une droite dépositaire de la France traditionnelle» et
écrit alors, noir sur blanc, que «la population française est en expansion
démographique et en mutation identitaire: en 2006, près de 150 000 acquisitions
de la nationalité française ont été accordées, en augmentation de 60 % par
rapport à 1995. Dans l'hypothèse d'une continuation à l'identique, ce sont
entre 500 000 et 750 000 nouveaux électeurs, naturalisés français entre 2007 et
2012, qui pourront participer au prochain scrutin présidentiel (...)» Et Terra
Nova de préciser que ce sont « notamment les individus d'“autres religions”,
composés à 80 % de musulmans, qui sont plutôt enclins à voter à gauche» et que
«dans ces conditions, la dynamique démographique est très favorable à la
gauche.»
Lors de la campagne présidentielle de 2012, c'est sans aucun
complexe que François Hollande, face à Nicolas Sarkozy, surfe déjà sur
l'arithmétique implacable de la démographie. En déplacement le 7 avril 2012 à
Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), il lance : «Les quartiers, les cités,
sont une chance pour la République. Ne sous-estimez pas la force de votre
décision. Avec le suffrage universel, une voix en vaut une autre, et si
certains sont plus riches que vous, vous, vous êtes plus nombreux qu'eux». Et
c'est ce même François Hollande, dressant ici «les quartiers, les cités» contre
le reste du territoire, qui parlera, une fois élu, de «partition» !
Dans Le Parisien du 10 novembre 2019, on lit que
«l'évolution la plus remarquable est celle de La France insoumise (LFI) et de
son leader, Jean-Luc Mélenchon, signataire du texte “Stop à l'islamophobie”, et
qui participera dimanche à la marche contre l'islamophobie, organisée à l'appel
notamment du NPA et du Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF)». Le 2
décembre 2020, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin dissout le CCIF qu'il
décrit comme faisant partie des «officines islamistes» qui «œuvrent contre la
République». Et le 23 septembre 2021, le Conseil d'État valide sa décision.
Quel crédit accorder à un «front républicain» qui conduirait
à marcher aux côtés de gens qui ont pu être, ne fût-ce qu'un seul jour, les
compagnons de route d'«officines» qui «œuvrent contre la République» ? La notion
de «vote utile» est étroitement corrélée à l'omniprésence des sondages. Si les
électeurs n'en avaient pas été autant matraqués, ils auraient voté sur la base
de leur seule conviction, nourrie par l'analyse comparative des offres
programmatiques. Sans ces sondages, la notion même de vote utile, ou encore de
vote pour faire barrage à des candidats, n'existerait pas. En France,
l'élection présidentielle, qui est l'élection reine, constitue une salutaire
soupape de sécurité.
Aussi, cette prise en otage de l'élection par les sondages
pourrait se révéler lourde de conséquences sur le climat au sein de la société,
si un trop grand nombre d'électeurs venaient à considérer qu'ils ont voté sous
tutelle. Afin que les électeurs recouvrent la pleine propriété de leur vote,
une véritable réflexion sur la liberté du vote doit être menée, et des actions
engagées en ce sens. Retisser le lien de confiance entre les élites et le
peuple devient une urgence vitale pour le devenir de notre démocratie, à un
moment où le niveau de défiance atteint des niveaux inquiétants.
Démontrant son attachement à respecter les électeurs et à ne
pas les considérer comme des enfants qui n'auraient pas encore atteint l'âge de
raison et auxquels il convenait de dicter leur comportement, le Président
Nicolas Sarkozy avait eu la sagesse de confirmer, à plusieurs reprises, sa
doctrine politique du «ni-ni», écartant ainsi comme option politique le
gouvernement des peuples par la peur.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire