Voleur de temps
Avant-hier, sur Internet, affairé sur notre compte bancaire, exaspéré par la durée de connexion trop courte, programmée par un informaticien probablement paranoïaque, je rouspétais sur ce vol de temps, contraint de me reconnecter plusieurs fois de suite. Le monde de la banque a bien changé depuis que je suis client. Auparavant, la notion de service voulait dire quelque chose. Mon banquier attitré s’occupait de tout. Il suffisait d’un appel téléphonique sur sa ligne directe pour les opérations courantes ou d’un passage à son bureau pour celles plus spécifiques, pour que mes demandes soient exécutées simplement, sans prise de tête. Nul besoin de codes de sécurité pour obtenir satisfaction. Les demandes de virements ponctuels ou permanents, les retraits au guichet, les chèques à encaisser déposés dans la boîte extérieure de la banque, tout cela étaient de son ressort.
Aujourd’hui, la ligne téléphonique directe est devenue rare avec mon banquier qui, progressivement, est devenu un commercial, ignorant souvent le métier de la banque. Des chicanes ont été mises en place pour ralentir le processus de contact avec le banquier, de moins en moins direct. Outre les minutes d’attente au téléphone, les synthétiseurs vocaux impersonnels sont programmés pour compliquer les choses au lieu de les simplifier. Les automates ont pris en charge les opérations effectuées auparavant par le banquier. Le summum, actuel, est atteint avec les nouvelles technologies liées au site Web de la banque ; les opérations bancaires courantes ayant été supprimées au guichet. La gangrène de la sécurité et de la supposée protection des données s’est propagée partout avec l’ajout d’applications mobiles, de logiciels contenant un programme téléchargeable autonome conçu pour s’exécuter sur un terminal mobile comme un smartphone ou une tablette tactile noyés dans les codes secrets, les codes de confirmation à répétition, les directives européennes qui intensifient les contrôles de connexion à outrance, sans fondements réels.
Les minutes perdues par-ci par-là s’additionnent démesurément. Attendre une validation, faire face aux interruptions diverses de connexion, subir le bon vouloir des directives injustifiées, est devenu le lot quotidien de la majorité de beaucoup d’entre nous.
Tout cela réclame du temps, demande de prévoir un créneau suffisamment long, exige de posséder un ordinateur ou une tablette numérique, un smartphone, ce qui n’est pas le cas de tout le monde (bonjour la discrimination !) et une indispensable connexion Internet, efficace, ce qui n’est pas toujours le cas quand on voyage, comme Patrick et moi. Toutes ces opérations interminables sont sources de stress, de tension, de mécontentement et de frustration. Il faut subir pour parvenir à ses fins avec persévérance… et calme de préférence. Pour payer une facture par virement, il faut s’authentifier sur le site web de la banque, saisir l’iban du destinataire. Pour ce faire, il faut se munir de sa carte personnelle quadrillée de nombres à quatre chiffres, entrer le code demandé, activer l’application bancaire du smartphone, effectuer à plusieurs reprises des confirmations codées temporaires, envoyer un courriel au conseiller pour lui demander de valider le virement soumis à la banque quand le montant dépasse un certain seuil, de plus en plus bas. Le monde de la banque est un monde de voleurs de temps auquel il est difficile d’échapper.
Dernièrement, une information de ma banque, pour les quelques opérations encore réalisables au guichet, me rappelait que depuis le 31 août dernier, les opérations au guichet sans rendez-vous ne sont traitées que le matin.
La
notion de service est devenue résiduelle. Le client fait tout, le banquier a
disparu et le conseiller fait de son mieux quand il n’est pas en stage. La
banque a perdu la conscience du temps. Il y a un transfert de compétences,
inimaginable auparavant dans les beaux jours de la notion de service qui est
devenue une laissé-pour-compte…
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