Quand une personne se glisse dans la file d’attente du
Secours populaire pour
pouvoir se nourrir,
elle pousse la vie. Quand un parent élève seul un enfant
dans un studio, il pousse la vie. Exiger plus de moyens pour exercer correctement
son métier de médecin ou d’enseignant, un salaire décent pour un travail en
trois-huit à l’usine, un emploi pour ne plus avoir à subir l’humiliation et
l’exclusion du chômage, le maintien d’une ligne de train dans un village isolé,
des horaires convenables pour effectuer sa tournée de facteur, un accès aux
soins facile et rapide, des tarifs honnêtes pour se loger, sont autant de
façons exemplaires et dignes de pousser la vie dans une société qui tend à
raidir chaque jour davantage la pente à gravir pour obtenir ce qui nous
revient, de droit.
Une société où le cynisme de l’idéologie managériale
transforme le drame en opportunité économique, où le langage sert
les désirs et
les intérêts des
dominants, où la
langue administrative et politique asservit et segmente les usagers
comme les employés jusqu’à construire un individualisme anéantissant la
possibilité d’une forme de vie sociale
où chacun occuperait une place respectée et respectable. Contre ce
lexique et son horizon morbide, il y a, comme un soulagement, une
respiration : la langue de mes parents.
Une langue fondamentalement politique et esthétique qui, comme la
littérature, prend les
mots au sérieux
quand il s’agit
de raconter le
réel.