mercredi 2 juin 2021

YAMINA BENAHMED DAHO

Quand une personne se glisse dans la file d’attente du Secours  populaire  pour  pouvoir  se  nourrir,  elle  pousse  la vie. Quand un parent élève seul un enfant dans un studio, il pousse la vie. Exiger plus de moyens pour exercer correctement son métier de médecin ou d’enseignant, un salaire décent pour un travail en trois-huit à l’usine, un emploi pour ne plus avoir à subir l’humiliation et l’exclusion du chômage, le maintien d’une ligne de train dans un village isolé, des horaires convenables pour effectuer sa tournée de facteur, un accès aux soins facile et rapide, des tarifs honnêtes pour se loger, sont autant de façons exemplaires et dignes de pousser la vie dans une société qui tend à raidir chaque jour davantage la pente à gravir pour obtenir ce qui nous revient, de  droit.

 

Une société où le cynisme de l’idéologie managériale transforme le drame en opportunité économique, où le langage  sert  les  désirs  et  les  intérêts  des  dominants,    la  langue administrative et politique asservit et segmente les usagers comme les employés jusqu’à construire un individualisme anéantissant  la  possibilité d’une forme de vie sociale  où chacun occuperait une place respectée et respectable. Contre ce lexique et son horizon morbide, il y a, comme un soulagement, une respiration  : la langue de mes parents. Une langue fondamentalement politique et esthétique qui, comme la littérature,  prend  les  mots  au  sérieux  quand  il  s’agit  de  raconter  le  réel.

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