Nous partons pour le village médiéval de Bergheim après le déjeuner. Nous arrivons à destination à treize heures trente. Nous suivons le chemin des anciens remparts du quatorzième siècle qui ceinturaient autrefois la cité. De nos jours, seuls quelques murs ont résisté à l’usure du temps. Nous apercevons dans le lointain la silhouette étoffée du château du Haut-Koenigsbourg. Un chat tigré nous fait la fête. L’escalier vertical en bois de « Natachatte » se trouve à une courte distance ; peut-être le nom de notre félin câlin ! Revenus à notre point de départ, nous entrons dans le village par la tour de la Porte Haute, la seule des quatre portes fortifiées du passé, où le Lack’Mi nous montre ses fesses, comme il le fit à ses poursuivants qui ne purent l'arrêter. L’objectif de l’appareil photo se heurte aux voitures esseulées en arrêt sur image qui envahissent les rues et les ruelles en prenant involontairement leur contrôle. L’âme d’autrefois a disparu, les villageois sont chez eux et les touristes sont peu nombreux. Fait-il bon vivre au village ? Les rêves ont-ils été anesthésiés ? Lack’Mi se demande si le droit d’asile prévaut encore aujourd’hui. Entre 1530 et 1667, Bergheim a accueilli quelque sept cent cinquante réfugiés coupables de crimes et délits non prémédités ou excusables.
Du septième au quatorzième siècle, seize
suzerains se succédèrent dans Bergheim qui fut assiégée à plusieurs reprises. Élevée
au rang de ville libre sous la tutelle de Henri de Ribeaupierre, Bergheim fut
incendié en 1287 par les troupes du Général Hartmann de Baldeck. Henri de
Ribeaupierre fortifia la cité avec des remparts en 1312 pour pallier à toute
nouvelle tentative d’invasion. Par la suite, Bergheim passa aux mains des
archiducs d'Autriche qui dotèrent la cité de droits et privilèges considérables
en reconnaissance d'importants témoignages de fidélité de la part des habitants,
comme le privilège de frapper monnaie, le droit de juridiction de ses
magistrats, le droit de perception de droits de douane après avoir creusé un
fossé fortifié entre la haute et la basse Alsace, et le droit de refuge qui
prit de l'ampleur au seizième siècle en offrant la possibilité, lorsque
quelqu’un avait commis un crime non prémédité ou excusable, de venir se
réfugier dans la cité au nez et à la barbe des poursuivants. Les réfugiés
coupables de tels crimes ou délits étaient protégés durant leur présence ; le
droit de convoler en justes noces dans la ville leur était refusé.
Nous achetons un kilo de raisins verts
d’Alsace à deux euros préparés dans des sachets plastiques blancs sur un étal
de confiance. Comme pour les cierges dans les églises, nous glissons la pièce
dans la fente d’une boîte. Nous flânons au gré de notre fantaisie, mais, malgré
le charme de nombreuses maisons, le village dégage une impression de désertion
pantouflarde dans un abandon du passé, riche et tumultueux, du village dans un
exode de ses souvenirs. La maison des Sorcières est fermée, nous saluerons
Samantha sous un autre ciel. Les procès de sorcellerie constituèrent une page
douloureuse de l'histoire de Bergheim. À la charnière des seize et dix-septième
siècle, quarante-quatre femmes furent accusées de sorcellerie, condamnées après
un procès expéditif et brûlées vives. Innocentes, leur seul tort fut de
connaître les plantes médicinales et d’être guérisseuses. Une des neuf tours
des remparts servait de chambre de torture et de prison pour les infortunées
sorcières avant de passer sur le bûcher. Le jardin des Sorcières mériterait un
coup de baguette magique pour l’embellir et lui donner une aura de beauté.
Patrick prend un livre dans une boîte à lire aux rayonnages quasi vides. Nous
entrons dans l’église de l’Assomption-de-la-bienheureuse-Vierge-Marie érigée au
début du quatorzième siècle en grès rose. J’admire la chaire où le prêtre
donnait ses sermons. Nous quittons le village, après quinze heures, après
d’ultimes tentatives d’en trouver l’âme. Les belles maisons se désolent de mon
ressenti…
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