mercredi 28 juillet 2021

Le passe sanitaire pourrait signer la fin de notre conception de la liberté en Occident

 «Le passe sanitaire pourrait signer la fin de notre conception de la liberté en Occident»

FIGAROVOX/ENTRETIEN - Alors que le passe sanitaire a été validé par le Parlement, le Défenseur des droits et la CNIL alertent contre une remise en question de nos libertés. Si l'avocat Thibault Mercier considère ces mises en garde nécessaires, il estime que c'est de l'outil même dont il faut discuter.

 

Par Aziliz Le Corre

Publié hier à 12:22, mis à jour hier à 17:41

 

Thibault Mercier est avocat au barreau de Paris, essayiste et président du Cercle Droit & Liberté.

 

FIGAROVOX. - Alors que le passe sanitaire a été validé par le Parlement, le Défenseur des droits et la CNIL mettent en garde à propos des «transformations profondes pour l'exercice de droits et libertés qui sont au fondement de notre pacte social et républicain ». Partagez-vous ces inquiétudes ?

Thibault MERCIER. - Il est bon de rappeler que le Défenseur des droits a alerté sur les nombreux risques de dérives de ce passe sanitaire. En revanche, on peut regretter qu'il en valide le principe puisque c'est l'outil même qu'il aurait fallu remettre en question.

En effet, avec ce passe sanitaire généralisé aux actes de la vie quotidienne, nous rentrons dans une société où la liberté devient l'exception et cède sa place à la restriction généralisée, laquelle se voit justifiée par la recherche de sécurité et le principe de précaution. Comme l'écrivait le sociologue allemand Ulrich Beck, cette société du risque zéro «a tendance à générer un totalitarisme légitime de la prévention qui, sous couvert d'empêcher que ne se produise le pire, finit par créer (...), les conditions d'apparition de ce qui est encore pire». Et c'est ce à quoi nous assistons avec la mise en place de ce passe sanitaire. Car sous couvert de protéger le droit à la santé (et quelle santé !), on crée un outil qui fait qu'un citoyen n'est désormais libre de jouir de l'ensemble de ses droits et libertés que s'il est en mesure de produire la preuve de sa bonne santé dans l'espace publique. En outre, par cette révolution copernicienne, l'individu est désormais vu d'abord comme un danger potentiel pour son concitoyen (un “super contaminateur”), ce qui vient créer un sentiment de méfiance généralisée et briser la confiance et les liens d'amitié nécessaires à toute vie en société.

Nous en voyons d'ailleurs déjà les effets délétères sur notre société: le représentant de la Fédération Nationale des Cinémas Français indiquait en ce sens vendredi dernier en audience devant le Conseil d'État que les employés des cinémas se faisaient désormais régulièrement insulter par les clients soit par excès, soit par manque de zèle, dans la vérification du passe sanitaire.

Le gouvernement met en avant que cet outil est acceptable car temporaire (il devrait prendre fin le 15 novembre) et nécessaire au vu de la situation épidémique. L'expérience très récente nous incite pourtant à penser le contraire et il y a fort à parier que cet outil de régulation sociale sera renouvelé aussi régulièrement que l'état d'urgence sanitaire l'a été.

Cet outil de contrôle social pourrait signer la fin de notre conception de la liberté en Occident et constitue de surcroît un dangereux précédent: quelle sera la prochaine étape ?

Qu'en sera-t-il également de la procédure de suspension du contrat de travail pour les récalcitrants au passe sanitaire ? Les sénateurs et députés se sont félicités d'avoir contré le gouvernement qui lui souhaitait introduire la possibilité d'un licenciement dans la loi. Dans les faits on voit néanmoins assez peu de différences pour le salarié qui se verra contraint de quitter son emploi s'il ne peut en récupérer les fruits. Au-delà du droit on a aussi pu remarquer que depuis le 12 juillet et les annonces du Président, de nombreux salariés ont reçu des pressions orales ou écrites (en toute illégalité) leur imposant d'aller se faire vacciner sous peine de licenciement.

Cela renvoie d'ailleurs à un problème plus global depuis le début de cette crise: le gouvernement produit tellement de textes législatifs et réglementaires et de recommandations qu'il devient extrêmement difficile, même pour un juriste aguerri, de savoir ce qui est autorisé ou non. Si même les professionnels s'arrachent les cheveux imaginez alors le casse-tête pour le citoyen...

«Le rebond de l'épidémie peut justifier des mesures exceptionnelles, pour éviter un nouveau confinement, mais l'extension du passe sanitaire doit être paramétrée au plus près », précise la CNIL. Aurait-il fallu organiser un débat démocratique public de fond, comme le préconise d'ailleurs le Défenseur des droits ?

Je rejoins les propos du Défenseur des droits, le gouvernement a, comme d'accoutumée depuis le début de cette crise, quasiment mis le couteau sous la gorge du Parlement en lui présentant ce projet de loi rédigé en urgence et en lui imposant un calendrier intenable. Sans compter la communication culpabilisante et anxiogène de l'Exécutif qui voudrait que les Parlementaires aient du sang sur les mains s'ils ne votaient pas dans le sens voulu. Comment voulez-vous dans ces conditions que nous puissions avoir un débat sain et apaisé sur des questions qui sont pourtant décisives sur l'avenir de notre société ?

On a l'impression que l'Exécutif vient de découvrir cette pandémie alors qu'elle est désormais connue (ampleur, succession de vagues, personnes vulnérables, létalité, etc). Il paraît difficilement acceptable aujourd'hui que le gouvernement mette en avant une situation exceptionnelle pour tordre le droit et se passer de la représentation nationale. Il me semble que le gouvernement s'est un peu trop accoutumé à ce type de gouvernance non démocratique, l'état d'urgence n'a pas été créé juridiquement pour durer aussi longtemps (bientôt 18 mois). La gestion de la crise est désormais une politique publique comme une autre et il serait temps que les parlementaires jouent leur rôle de contre-pouvoir et reprennent les rênes de notre démocratie.

Le Défenseur des droits pointe «des risques considérables d'atteinte aux droits de l'enfant »…

Le Défenseur des droits rappelle en effet que ce passe sanitaire entraînera de nombreuses restrictions dans l'accès aux loisirs, aux activités sportives et à la culture qui sont pourtant primordiaux pour le bon développement de l'enfant. Il me semble plus que légitime d'être interloqué du fait que cette mesure s'applique à eux. C'est en effet la première fois me semble-t-il que l'on fait peser sur des enfants autant de restrictions alors même qu'ils ne sont pas sujets à développer la maladie.

Si l'entrée en vigueur de ce laissez-passer n'interviendra que le 30 septembre pour les plus de 12 ans (pour ne pas les priver d'été ?), notons que dans les faits ce délai a pour objectif de permettre aux parents d'aller vacciner leurs enfants avant que ces derniers soient soumis à cette obligation de laissez-passer.

Le gouvernement semble avoir voulu contourner les difficultés posées par la légalité d'une vaccination obligatoire. Mais si cette vaccination obligatoire est rendue si difficile en droit (notamment par le Code civil ou certaines résolutions du Conseil de L'Europe) c'est évidemment parce que de nombreuses considérations éthiques, morales, religieuses et philosophiques sont venues y poser des limites. Il semble que l'Exécutif n'a pas souhaité que ces questions primordiales soient abordées sereinement et c'est tout à fait regrettable qu'il ait préféré hystériser le débat en opposant ses citoyens.

Au-delà de ces nombreuses barrières il faut aussi s'interroger sur la société que nous allons créer pour les générations futures. En effet, qui a envie de voir son enfant de 12 ans présenter plusieurs fois par jour un laissez-passer numérique pour avoir le droit de mener une vie quasi normale ? Cela pose une question plus globale de l'emprise de la technologie sur nos vies alors même que l'accoutumance aux écrans est déjà grande parmi les enfants et les adolescents.

En quoi ces nouvelles restrictions risquent-elles d'isoler certaines populations ?

En termes d'isolement, notons que c'est déjà l'ensemble de la population qui sera concernée puisque cette nouvelle loi d'extension du passe sanitaire prévoit également la possibilité de placer à l'isolement forcé pendant 10 jours toute personne sur la base d'un simple test positif au Sars-Cov-2. La loi prévoit certes la possibilité de contester cette décision devant le juge des libertés mais en pratique cela ne sera que très peu utilisé. Ce dispositif est donc sans précédent dans notre droit et permettra donc à l'État de placer chaque jour en quarantaine forcée plusieurs dizaines de milliers de Français qui seront alors coupés de leurs concitoyens pour une maladie dont on sait pourtant désormais qu'elle n'a rien à voir avec Ebola… Il y a encore une fois un problème de disproportion dans ces mesures.

Mais le passe sanitaire pourra aussi accroître l'isolement des plus vulnérables d'entre les nôtres, son application aux EPHAD et hôpitaux aura certainement des conséquences supplémentaires pour les malades ou les personnes âgées qui seront peut-être sauvés du Covid mais pas de la solitude.

 

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