Le ciel est bleu et le soleil brille. Nous partons vers neuf heures
trente pour le Mont-Saint-Michel. Nous arrivons à destination quelque quatre-vingts
minutes plus tard. Nous suivons la file d’attente qui mène aux divers parkings.
Des employées nous guident le long du parcours. La voiture est garée sur le
parking P11. Une file d’attente sans fin pour prendre la navette gratuite à
destination du site nous invite à effectuer le trajet à pied comme nombre de
visiteurs. Il nous faut environ trente minutes pour arriver sur l’île. Le ciel
est en nuances de gris et le haut de l’abbaye du Mont-Saint-Michel baigne dans
la brume. Sur le pont passerelle au-dessus des flots, absents à marée
basse, une dame nordique nous prend en photo. Avant de pénétrer dans
l’enceinte du village fortifié, nous marchons sur le sable gris acier luisant pour
prendre des photos du site avec du recul. La date d’aujourd’hui, opportunément
dessinée sur le sable par une main inconnue, offre d’immortaliser cette journée
dans le flot du temps. Nous entrons par la Porte du Roy. Nous achetons des
cartes postales dans la première boutique à gauche. La foule est au rendez-vous et les restaurants sont pris d’assaut. La
troisième tentative est la bonne. Nous prenons place à une petite table devant
le bar à l’hôtel-restaurant La Croix
Blanche dans la Grande rue. Nous optons de concert pour une galette
végétarienne de blé noir à la ratatouille et aux olives noires. Les fines
bulles d’un Perrier désaltèrent Patrick qui s’offre en dessert une crêpe
normande aux pommes caramélisées, sorbet pomme verte, flambée au Calvados. Je
feuillète le magazine touristique « Votre été en Normandie ». Je lis
un article sur le Titanic ; il y a 110 ans, il appareillait à Cherbourg…
et un autre sur le roc de Granville qui contemple l'archipel de Chausey lequel regroupe
plus de trois cents îlots à marée basse et une cinquantaine à marée haute ; des
pierres de l'archipel participèrent à la construction du Mont. En sortant à
midi trente du restaurant, nous avons l’agréable surprise de constater que le
ciel est devenu bleu ; nous continuons de grimper la Grande rue. Nous
sommes arrêtés par une suite de montées d’escaliers raides qui grimpent
jusqu’au sommet. Nous revenons sur nos pas, nous sortons par la Porte du Roy et
nous allons marcher sur le sable gris dans le dessein de faire le tour de l’île.
Je reprends une photo du mont sous le ciel bleu. Nous marchons sur les galets
et nous sommes arrêtés dans notre progression par la chapelle Saint-Aubert.
Deux oiseaux bavardent sur l’arête de la toiture. Édifiée sur une excroissance
rocheuse à l'extrémité nord-ouest du Mont-Saint-Michel, elle marque l’arrêt de
notre avancée, des rochers abrupts interdisant de continuer. Nous revenons sur
nos pas. Nous entrons ensuite par la porte des Fanils. Une voie empierrée
sinueuse monte à l’abbaye. Je m’attarde un instant sur un chemin secondaire en
descente vers les rochers pour prendre en photo la Tour Gabriel construite au
seizième siècle sur ordre de Gabriel du Puy pour défendre le côté ouest du
Mont. Nous parvenons aux remparts, édifiés du douzième au quatorzième siècles qui
dominent ceux du chemin de ronde construit avec ses parapets au quinzième
siècle. Les touristes qui se croisent sur la passerelle sur
pilotis ressemblent avec la hauteur à des miniatures d’êtres humains. Derrière
nous, les façades abruptes de l'abbatiale impressionnent ; nous remarquons l'ancienne
rampe de treuillage presque verticale. Une cage à écureuil, servant de treuil
installé en 1819, lors de la conservation
du site en prison, était utilisée pour le ravitaillement des prisonniers. Les
détenus marchaient à l'intérieur de la roue en assurant la rotation et la manœuvre. Sur la gauche, un
second système de treuil installé en 1203 permettait le
ravitaillement des denrées au sommet en élevant les
charges. Deux mouettes perchées, indifférentes au défilé incessant des
visiteurs, regardent impavides dans le lointain. Plus avant, nous découvrons,
niché au bord de l’église paroissiale, dominant la baie, un petit cimetière
construit sur deux terrasses ; des roses roses s’épanouissent. Dans le
labyrinthe des ruelles, venelles et autres petits passages,
par paliers et descentes successives d’escaliers divers, admiratifs et émerveillés
par les réalisations humaines du passé, nous débouchons dans la Grand rue.
Une étonnante synchronicité merveilleuse va nous offrir des instants de partages enrichissants avec Joie et sa grand-mère créole Carmelle. En vacances en France depuis une vingtaine de jours, elles sont venues aujourd’hui au Mont-Saint-Michel en car depuis Paris ; le trajet a duré cinq heures. Nous arrivons tous les quatre à quelques secondes d’intervalle à l’entrée, côté rue, au restaurant La Vieille Auberge sur la Grande rue. La terrasse est animée et presque toutes les tables sont occupées. Notre tour venu dans la file d’attente, un jeune homme à la joue droite couverte d’acné nous installe à une table de quatre places qui vient juste de se libérer. Dans les minutes suivantes, alors que nous consultons la carte, nous avons la surprise de voir arriver Joie et Carmelle conviées par un serveur à s’installer à notre table. Je leur laisse le libre choix des places. Elles s’assoient côte à côte devant les remparts. Nous sympathisons et nous bavardons plaisamment en nous restaurant. Patrick opte pour un café liégeois avec un thé noir, je choisis un gâteau aux trois chocolats sur un petit lagon de crème anglaise avec un thé vert. Les deux New-yorkaises commandent des spaghettis, à la bolognaise pour Joie et aux fruits de mer pour sa grand-mère. Venues en avion, nous parlons de nos traversées, aller et retour, à bord du Queen Mary II entre Southampton et New York. Cette découverte les motive à vivre cette expérience dans un prochain présent. Joie s’enthousiasme en voyant des photos sur son smartphone qu’elle va recharger sur une prise de courant à l’intérieur du restaurant, motif initial de leur venue. Je verse de l’eau plate dans le verre de Carmelle et je le remplis à moitié. Originaire d’Haïti, elle reprend la bouteille pour accomplir une coutume créole qui consiste à remplir le verre à ras bord. Au retour de Joie, nous apprenons qu’elle a suivi des études de musique à Paris. Elle joue du violon depuis l’âge de deux ans ; elle donne des concerts de temps à autre. Elle a un don pour la musique, elle joue aussi de l’accordéon. Quand son Coca arrive, comme Carmelle, elle remplit son verre à ras bord. Nous rions tous en cœur. Carmelle évoque le souvenir de son grand-père haïtien Thoby qui était écrivain et poète. Il a écrit sur la dette exorbitante de l’indépendance payée à la France par Haïti à partir de 1825, notamment pour indemniser les anciens colons esclavagistes ! Carmelle parle d’une somme équivalente à vingt-deux millions de dollars. Francis, un de ses frères, est également écrivain. Un autre frère se prénomme Gerard comme l’écrivain Nazunov. Joie écrit son adresse dans les notes de mon iPhone pour l’envoi en cadeau du roman Apavudia. Elles retourneront à New York en avion à la fin de la semaine prochaine. Joie a aussi le don de pouvoir lire douze livres en parallèle, aussi bien en anglais qu’en français. Nous sommes pris en photo par une serveuse sur nos smartphones respectifs. En écho à une comparaison de Carmelle, je parle du mot « différent » que j’utilise régulièrement pour pallier les comparaisons qui peuvent déprécier tout un chacun ou nourrir l’orgueil. Le mot « différent » évite les jugements et facilite les échanges. Carmelle annonce qu'elle va l'utiliser désormais. À la demande de nos nouvelles amies, j’écris notre adresse postale et mail dans les notes du smartphone de Joie. Elles doivent reprendre le car à seize heures vingt. Nous leur faisons cadeau de leur repas en remerciement de la magie de la vie qui nous a offert de croiser leur chemin. Carmelle est émue. Avant de leur souhaiter le meilleur, nous échangeons des étreintes comme si nous nous connaissions de longue date…
Nous sortons de la
terrasse par l’entrée des remparts. Je prends plaisir à flâner sur le chemin de
ronde pavé en admirant le paysage côtier et les vieilles pierres aux
constructions enchevêtrées au fil du temps. Nous nous éclipsons des remparts au
niveau de la porte du Roy en descendant une trentaine de marches en pierre.
Nous quittons le Mont-Saint-Michel vers seize heures. La file d’attente pour
prendre la navette est importante. Nous décidons de marcher pour rejoindre le
parking en suivant le pont passerelle en bois, au-dessus des flots quand la
marée est haute. Actuellement, la marée est descendante. Nous avons la
désagréable surprise de payer quinze euros pour un stationnement de six heures
; probablement par manque de monnaie l’appareil nous rend trois euros au lieu
de cinq. Nous verrons plus tard chez nous qu’un forfait de quinze euros est
applicable à tous les véhicules, quelle que soit la durée du stationnement
pouvant aller à vingt-quatre heures. Nous cherchons notre voiture dans le
parking P11. Sa couleur lilas nous permet de la repérer facilement. D’autres
visiteurs peinent à trouver leur véhicule et une certaine inquiétude se lit sur
les visages. Les divers parkings accueillent des milliers de voitures. En
revenant, nous nous arrêtons sur la commune de Pontorson pour photographier une
superbe citerne d’eau à côté d’un petit château abandonné à son sort. Les
arbres noueux qui supportent la citerne sont en… ciment ; une œuvre conçue vers
1870 par Joseph Monnier, l’inventeur du ciment armé. À neuf kilomètres de chez
nous, nous traversons le canal d’Ille-et-Rance, le plus ancien canal artificiel
de Bretagne. Nous parvenons avant dix-huit heures à Melesse. Le soleil continue de briller…
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