Le ciel s’annonce en bleu. Lors du petit déjeuner, une employée masquée nous sert notre sélection effectuée au travers des vitrages protecteurs. La salle est décorée de nombreux tableaux et de mobiliers anciens. L’hôtel doit avoir les « reins solides » contrairement aux trois hôtels alentour qui semblent définitivement fermés. Les propriétaires doivent avoir suffisamment de ressources pour surmonter cette épreuve liberticide difficile. Sur les quelque soixante-dix chambres, une dizaine sont occupées. Huit garçons s’installent à deux tables voisines. Les masques vont et viennent sur leur visage, aléatoirement, en fonction de leur déplacement au buffet. Cette mascarade est suivie différemment d’une personne à l’autre. Christian pulvérise copieusement du produit désinfectant sur un tapis devant une porte de service ; j'hallucine ?!... En sortant de la salle, nous voyons que le journal « La Vanguardia » titre avec la phrase : « Foment y las cámaras piden que se indemnice a bares y restaurantes » [Foment et les hôtels demandent que les bars et les restaurants soient indemnisés]. Josep Sánchez Llibre, président de Foment del Treball, la principale fédération patronale catalane, déclare : « Ce sont des mesures disproportionnées et déséquilibrées qui affectent radicalement des secteurs spécifiques ». En Catalogne, il y a environ quatre-vingt mille bars et restaurants, tous fermés depuis hier et durant au moins quinze jours pour, soi-disant, contenir le coronavirus. Cette mesure radicale punit le secteur de la restauration alors que d'autres peuvent ouvrir comme les boulangeries pâtisseries.
Nous quittons l’hôtel vers dix heures dix. Dans le hall d’accueil confortable, un monsieur en chemise rose, remarqué en sortant de la salle du petit déjeuner, poursuit sa lecture des différents journaux à disposition dans l’hôtel. Son masque arrive au niveau de sa lèvre inférieure, c’est quand même plus pratique quand on est seul dans le hall. Nous laissons la voiture avec les bagages dans le parking couvert de l’hôtel suite à l’accord donné hier par Christian. Nous nous rendons au musée Dali. Deux jeunes filles du Kazakhstan s’adressent à nous devant l’entrée du « Teatre-Museu Dali » à propos de la disponibilité des tickets. Une borne totem affiche de la disponibilité pour dix-heures trente alors que le site sur leur smartphone annonce que c’est complet !... Quand nous entrons dans le musée, un appareil contrôle notre température sans que je m’en aperçoive ; Patrick m’en informera à la sortie. Le musée est magnifique dans son architecture et les œuvres présentées sont attrayantes. La Cadillac série 62 cabriolet à moteur V8 de 1938, offerte par Salvador Dalí à son épouse et muse Gala durant leurs voyages aux États-Unis dans les années 1930, trône dans l’atrium coiffée d’une géode en verre. Telles des niches, des fenêtres dans les parties circulaires montrent sur leur rebord des statues dorées de l’artiste. Nous déambulons dans une sorte de labyrinthe fléché et nous découvrons diverses œuvres de Dalí et des portraits variés de l’artiste. Un plafond dans une grande salle montre une œuvre grandiose et impressionnante. Vers la fin du parcours, nous sortons dans une petite cour intérieure aux arbres variés à la ramure épanouie ; un havre de paix et de bien-être dans cette manie masquée obsessionnelle qui nous poursuit partout dans le musée ; nous sommes seuls pour en profiter… librement…
Une fois sortis de ce lieu de découverte, de beauté et de créativité, nous achetons la biographie illustrée de Dalí à la Llibreria Surrealista située à côté du musée. Marta accueille Patrick à la caisse à onze heures vingt. Nous descendons la carrer de Sant Père pour tenter de trouver un commerce pour acheter quelques victuailles pour le déjeuner. Nous nous arrêtons dans un magasin Ale-Hop. J’ai une pensée pour ma sœur Thérèse avec qui nous avons visité un magasin Ale-Hop le lundi 17 février 2020 à Málaga où nous avons vécu des instants ludiques. C’était un autre monde !... Ce magasin présente des masques fantaisie en vitrine. Toutefois, l’offre n’inclut pas les masques en plastique transparent. Je trouve dangereux que le commerce s’introduise dans cette opportunité pour faire du chiffre d’affaires, car cela va banaliser le port du masque qui, contrairement aux affirmations des élites, est dangereux pour la santé. Nous avons déjà visité nombre de magasins de cette chaîne et, pour la première fois, nous sommes les seuls clients. Nous déambulons dans les rues et ruelles. Je prolonge mon regard dans la séduisante carrer Magre. La folie politico-covidienne continue d’opérer... tous les restaurants que nous voyons sont fermés alors que les boulangeries salon de thé sont ouvertes. Quelle discrimination pour un même virus aujourd’hui innocent, si tant est qu’il fût coupable de quoi que ce soit puisque il fait partie de la Création. Tour à tour, nous passons devant le café Paris, le restaurant El Bigoti spécialisé dans les tapas, le restaurant Lizarran, tous fermés. Dans ce dernier restaurant, un code QR a été collé sur le centre des tables de la terrasse pour probablement inciter les clients à commander sur Internet. Les tables ont disparu des places et les gens s’installent sur les marches d’escalier pour déjeuner. L’agréable brouhaha des discussions, le farniente au soleil, le plaisir de vivre en somme a disparu. La terrasse d’un autre restaurant m’interpelle. Les chaises regroupées sont verrouillées à chaque table ronde noire par un câble jaune fermé par un cadenas. Serions-nous dans un temps de guerre de l’absurde ?!... Chez « .Interval », une sorte de restaurant fast-food, la porte est ouverte, toutefois les tables sont toutes regroupées et les chaises empilées pour les interdire d’accès.
Nous intégrons la file d’attente devant la boulangerie pâtisserie Maia, artesania del pa, sur la carrer Besalu, répérée lors de nos recherches. Des chaises en bois blanc cérusé sont alignées devant la vitrine intérieure de manière à interdire une file intérieure. L’incohérence est reine au royaume d’Espagne. Nous sélectionnons de quoi nous sustenter. La chance opère en sortant. Nous tombons sur le magasin Cullell fruites i verdures sur la carrer Besalú où je trouve sur l’un des étals extérieurs à roulettes un avocat mûr et une barquette de champignons frais émincés. La patronne, qui s’apprêtait à partir, m’offre un étui plastique contenant un couteau et une fourchette. La jeune employée à la caisse coupe l’avocat en deux et tente sans succès de séparer les deux moitiés en tirant. La patronne lui montre qu’il convient de les faire pivoter pour les séparer. Je laisse un pourboire en remerciement en partant. Nous allons déjeuner au soleil sur un banc le long de la Rambla dans un pique-nique forcé par les incohérences gouvernementales. Nous nous asseyons à côté d’un jeune garçon d’origine africaine qui pianote sur un smartphone. Je savoure l’avocat avec deux crackers aux graines de courge. Un bambin, escorté de son papa, s’approche d’un autre jeune homme assis sur le banc voisin. Curieux, ouvert à la vie, il est naturel dans son approche. Patrick pense qu’il est trisomique. Deux possibles journalistes devant nous sur la Rambla interrogent et filment de temps à autre des promeneurs qui enlèvent leur masque le temps de l’interview.
Après le repas, nous allons nous promener dans la ville. Nous constatons que l’hôtel Rambla est fermé aussi. Nous découvrons à côté de la plaça Doctor Ernest Vila, le Mercat setmanal [marché hebdomadaire] de fruites i verdures réparti sous deux bâtiments originaux ouverts aux quatre vents. Sur la carrer Colom, nous découvrons la superbe et étonnante Cases Juez édifiée il y a une centaine d’années. Plus avant, nous traversons la place ombragée du President Josep Tarradellas. Nous cheminons ensuite devant la séduisante Casa Empordà qui abrite l’office du tourisme. Nous achetons chez Culinarium, sur la carrer Nou, une colador manega franela [passoire en tissu]. La jeune femme à la caisse s’exprime en français. Nous revenons ensuite au parking de l’hôtel pour continuer notre voyage. En chemin, je photographie la Gran Cullera, une cuillère à soupe digne de Gargantua, une œuvre monumentale installée en l'honneur de Salvador Dalí pour la commémoration du centenaire de sa naissance à Figueres, offerte par le Centre Pompidou de Paris à la Fondation Gala-Salvador Dalí. Plus avant, l’hôtel Europa semble aussi définitivement fermé.
En sortant de la ville, sur la ronda del sud, nous effectuons un plein de carburant à une station Galp. À la pompe voisine, un couple gay est présent dans une voiture immatriculée dans en Corrèze. Le conducteur m’a souri après son paiement. Nombre de commerces et de grandes surfaces jalonnent la route sur des kilomètres. La route sinue ensuite et grimpe sur les hauteurs. Les virages en épingles à cheveux sont nombreux. Soudain, Cadaqués apparaît après un détour. Le ciel et la mer sont bleus. Clara nous accueille à l’hôtel Tarongeta sur la carrer Sant Vicens. L’hôtel, qui compte vingt-sept chambres, n’héberge que des adultes, probablement pour limiter les frais et le personnel en cette période incertaine. Le maniement des lits pour enfants ou bébés dans les chambres demande de la manipulation. La chambre 202 nous est attribuée. Spacieuse, pourvue d’un coin salon, elle est équipée d’un lit à baldaquin contemporain dans la chambre. Nous nous installons et nous allons nous promener dans l’objectif de repérer la maison de Dalí à Port Lliga. Nous atteignons une petite plage de galets où des barques de pêcheurs colorés attendent un prochain départ sur la grève légèrement inclinée. Plus avant, une statue de Dali, évoquée dans le premier chapitre du tome deux du roman Apavudia, s’offre au regard. Nous cheminons devant la Casa Serinyana, dite la maison bleue, qui date des années dix au siècle dernier. La maison fut édifiée sous la direction de l’architecte Salvador Sallés i Baró pour Don Octavio Serinyana. Peu après la Casa, nous prenons à gauche pour grimper la carrer de la Miranda. Soudain, nous voyons Nina qui s’approche de nous. Nina, une chatte sur un toit brûlant, nous gratifie de ses miaulements cristallins. Elle prend gracieusement la pose. Nous prenons des photos. Nina saute ensuite du toit, pourtant à une hauteur de près de deux mètres. Parvenus sur un plateau, nous contemplons la baie de port Lliga. Nous suivons les indications, nous descendons une route et nous parvenons au paradis de Dali.
Contre toute attente, la maison est encore ouverte à la visite. Nous payons l’entrée et nous sommes inscrits à la visite de seize heures cinquante. La dame à la caisse, qui parle le français, nous propose d’aller visiter les jardins durant la vingtaine de minutes à attendre. Un garde contrôle notre température avec une sorte de petit pistolet positionné à quelques millimètres du front !... Nous entrons dans un dédale de tunnels, d’arches, de terrasses en dénivelé, de sentiers pavés, aux nombreux embellissements créés par Dalí, qui nous emmènent sur d’autres terrasses, végétales cette fois, plantées d’oliviers au dénivellement matérialisé par des murets en pierres sèches. La vue sur la baie est paradisiaque. Un géant allongé sur le dos dans l’herbe, une barque à la place du buste et de l'abdomen, surprend par sa présence insolite. L’heure de la visite approche et nous revenons vers l’entrée de la maison. Un autre contrôle de la température corporelle est effectué ; l'absurde continue. Béatrice, la guide, porte à la fois deux masques l’un sur l’autre, une visière et la couche de connerie de Pedro Sánchez. Le mot « connard » me vient à l’esprit en pensant au chef du gouvernement en Espagne. Je l’imagine devant l’automobiliste Francis Perrin qui vocifère le mot « connard » dans le film de Coline Serreau « La Belle Verte ». Pedro Sánchez serait considéré par les habitants de la planète La Belle Verte comme un être pompeux et peu évolué ; il aurait grandement besoin d’être « déconnecté » !... Un jeune couple anglophone se joint à nous pour la visite. Béatrice traduit ses commentaires dans les deux langues. Je peine à entendre ce qu’elle dit devant l’épaisseur qui masque sa bouche. Les sons sont plus que tamisés. La maison étonnante, aux multiples marches d’escalier, tel un improbable labyrinthe, fut agrandie selon les besoins au fil des ans et de l’imaginaire de Dali et de Gala. Depuis son lit, digne d’un empereur de par son éclat, Dalí voyait à sa guise le lever du soleil depuis un miroir judicieusement placé dans l’espace en contrebas. Après la visite, Béatrice nous convie à reprendre jusqu’à la fermeture notre promenade dans les jardins en terrasses qui surplombent le littoral. Plus tard, devant la piscine, quatre francophones font des selfies… sans les masques… heureusement… leurs fous rires font plaisir. Vers la sortie, nous revoyons Béatrice qui fait une pause. Nous bavardons plaisamment avec elle. Attentionnée, elle s’est intéressée à nos vies durant la visite. Me sachant écrivain, je lui propose de lui envoyer mon premier roman dont le dernier chapitre retrace un épisode de vie entre Dalí et Lorca. Enthousiaste, elle me donne son adresse professionnelle pour l’envoi du colis. Nous retournons ensuite tranquillement à l’hôtel. Contre un mur, une citation et un portait de Emma Goldman illustre un tract de la Cooperativa Cervesera Cadaques…
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