Chacun
comprendra la difficulté de trouver le juste équilibre entre « l’état d’urgence
sanitaire » (instauré par une loi du 23 mars 2020 dans une telle précipitation
que le décret d’application daté lui aussi du 23 mars est intervenu avant même
la publication de la loi et son entrée en vigueur le 24 mars !) et les droits
fondamentaux garantis non seulement par notre Constitution mais par les traités
internationaux ratifiés par la France dont la Convention européenne des Droits
de l’Homme et des Libertés Fondamentales à laquelle il convient de se référer
pour tenter de clarifier le débat.
Dans
un premier temps, le président de la République, esquissant sa stratégie de
déconfinement, avait suggéré un déconfinement à deux vitesses en quelque sorte
puisque les « personnes âgées » (quel âge ?) devraient rester confinées « plus
longtemps » (jusqu’à quand ?). Bien sûr de nombreuses voix se sont élevées
pour dénoncer une telle mesure à la fois inégalitaire, arbitraire et
discriminante.
Au
final, le Gouvernement a reculé et transformé une mesure tout d’abord annoncée
comme contraignante en simple « recommandation ».
Cette
annonce immédiatement suivie de son retrait démontre de façon éclatante combien
tout état d’urgence, même apparemment justifié par des motifs légitimes, peut
engendrer de graves abus.
Nous
souhaitons proposer ici quelques pistes de réflexion et outils pour affronter
les mois à venir et, si nécessaire, faire acte de résistance.
Parmi
les droits fondamentaux dont jouissent les citoyens dans une société
démocratique, figurent notamment :
•
La dignité (droit de disposer de son corps, etc.),
•
Le droit à la vie privée et à l'intimité,
•
Le droit et la liberté d'aller et venir,
•
Le droit de ne pas être discriminé.
Nous
constatons que la loi instaurant l’urgence sanitaire a limité drastiquement,
sinon supprimé, ces droits humains au nom d’un impératif sanitaire présenté
comme nécessaire.
Ces
principes (édictés notamment par les articles 5, 8 et 14 de la Convention
européenne des Droits de l’Homme) peuvent en effet être temporairement
suspendus lorsqu’un « danger public menace la vie de la nation » si, et
seulement si, l’ingérence de l’État est justifiée par un « besoin social
impérieux » se rapportant à un ou plusieurs buts légitimes. Il faudra alors se demander
si, tenant compte de toutes les circonstances de l’urgence aujourd’hui
invoquée, cette ingérence était nécessaire, dans une société́ démocratique. Légitimité, nécessité et proportionnalité, telles sont les règles qui doivent présider aux restrictions imposées. La difficulté est donc de préserver un juste équilibre entre les
droits et les exceptions.
Dans
la situation que nous vivons actuellement, nous apercevons d’emblée les écueils
de cet exercice périlleux.
Critiquer
aujourd’hui, le confinement massif de la population imposé à partir du 17 mars
2020 (stratégie qui ne recueille pourtant pas l’unanimité) serait inopérant. En
effet, cette contrainte a permis à nos personnels soignants, très éprouvés et
sans moyens, de faire face à l’épidémie dans des conditions sinon acceptables
du moins supportables, compte tenu de l’état déliquescent de notre système de
santé. Et ce sont eux, eux tous et eux seuls, qui, malgré ce contexte carencé,
ont contribué à sauver de nombreuses vies.
Il
devra tout de même être constaté que la gestion de la pénurie a conditionné en
grande partie les choix politiques allégués.
Cela
étant, si les droits garantis par nos textes nationaux et internationaux tels
que la liberté, la vie privée et familiale, la non-discrimination, peuvent en
effet être temporairement suspendus en raison d’un état d’urgence, ici
sanitaire, il n’en va pas de même d’un certain nombre d’autres droits
intangibles qu’aucun état d’urgence d’aucune sorte ne peut abolir. Il en est
ainsi du droit à ne pas être soumis à la torture et à des peines ou
traitements inhumains et dégradants (article 3 de la Convention européenne des
Droits de l’Homme) qui ne souffre aucune dérogation (article 15 § 2 du même
texte).
A
ce titre, confiner les « personnes âgées » pour un temps indéfini au prétexte
de leur vulnérabilité deviendrait un « traitement inhumain et dégradant » tel
que prohibé de façon absolue, et on peut se réjouir que ce projet délétère ait
été abandonné.
Mais
la situation de confinement dans les Ehpad, où des résidents sont parfois
enfermés dans leur chambre 24 heures sur 24, où les visites familiales sont
prohibées et où les contacts humains sont réduits à peau de chagrin, ne
doit-elle pas être également considérée comme un « traitement inhumain et
dégradant » interdit à ce seul titre ?
Là
encore, le Gouvernement, face aux protestations, a dû assouplir ces mesures
inhumaines en autorisant sous certaines conditions les visites familiales.
Mais
il serait souhaitable que les pouvoirs publics prennent leurs responsabilités
plus clairement afin de ne pas laisser les résidents et leurs familles à la
merci de l’arbitraire de la direction de tel ou tel établissement.
De
même, est-il acceptable d’empêcher les familles et les proches d’accompagner
leurs morts ?
Il
est donc essentiel de rappeler que le caractère intangible du droit à ne pas
subir un traitement inhumain et dégradant est absolu, qu’il ne saurait souffrir
aucune restriction et qu’il peut être invoqué à tout moment et en toutes
circonstances.
L’urgence
sanitaire ne saurait conduire aux excès d’un principe de précaution mortifère
beaucoup plus meurtrier que le danger qu’il prétend combattre.
A
l’instar de l’acharnement thérapeutique, nos gouvernants devront se garder de
tout acharnement sanitaire.
Irène
Terrel
Avocate
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