Quels sont les pouvoirs de l’esprit sur le corps ? C’est à cette
question passionnante que répond le livre de Patrick Clervoy Ce médecin
psychiatre, professeur agrégé du Val-de-Grâce, qui fut engagé sur plusieurs
théâtres d’opérations militaires, est un spécialiste des phénomènes de
traumatisme psychique. De la part de mystère propre à la guérison, à
l’actualité brûlante du Covid-19 et du stress qu’il génère, il décrypte pour
nous la magie des liens psychosomatiques. Un entretien qui a de l’esprit... et
du corps !
En préambule de votre livre, vous écrivez, à propos des mystères de la
guérison : « On voit des personnes en bonne santé, sur l’instant d’une forte
émotion, déclencher une détresse respiratoire qui met leur vie en danger. » La
peur virale associée au Covid-19, attisée par les annonces et les informations
à tout-va, ne serait-elle pas capable de provoquer une détresse respiratoire ?
En tout cas, il est clair que les émotions intenses
peuvent déclencher une mort subite. Parmi les phénomènes (re)connus, vous avez,
par exemple, le syndrome de Takotsubo,
dit « du cœur brisé » J’ai ainsi une patiente, en bonne santé physique, dont le
mari vient de lui annoncer qu’il veut divorcer ; elle fait une détresse
cardiaque brutale. Cette patiente a survécu mais a passé quinze jours en soins
intensifs. Il faut savoir que nous n’avons pas, à ce jour, la capacité de
dépister si quelqu’un a une fragilité ou pas, ni de comprendre à ce moment-là
ce qui se produit... Il y a des maladies pour lesquelles on a très nettement
identifié le terrain somatique – c’est-à-dire que notre nature de corps nous
rend éligibles à faire tel problème de santé plus que d’autres. Mais là, on ne
l’a pas. Autrement dit, même les gens les plus costauds du monde peuvent subir
cet effet de surprise d’une défaillance organique provoquée, tout à coup, par
un phénomène psychosomatique.
Dans votre livre, vous évoquez ces défaillances subites, nombreuses en
temps de guerre – sujet qui vous est familier pour avoir été médecin militaire,
engagé sur des terrains de conflit (ex-Yougoslavie, Afghanistan...). Qu’en
est-il ?
Oui, ces phénomènes ont été clairement établis et
démontrés par la médecine de guerre. On a ainsi très bien identifié que dans
les villes assiégées, il y a des morts par hémorragie digestive brutale.
C’est-à-dire que les gens font un ulcère de stress - pour rappel, un ulcère est
une nécrose du tissu qui tapisse la paroi digestive (ou n’importe quelle muqueuse).
L’ulcère digestif, dans ce cas, est d’apparition brutale ; il se constitue en
24 ou 48 heures. Il ronge tellement la paroi abdominale qu’il va atteindre le
tissu artériel. Il vient donc ouvrir une artère, et le sang jaillit dans le
tube digestif – c’est une hémorragie interne et la mort intervient en quelques
heures. Autre exemple, pendant la Seconde Guerre mondiale, lors du siège de
Stalingrad, on a décrit chez des soldats allemands, jeunes et en bonne santé,
une épidémie de décès par infarctus du
myocarde ; à l’autopsie leurs artères coronaires étaient saines.
Vous décrivez également l’effet délétère du stress, notamment à travers
le phénomène du karōshi, bien connu au Japon, en lien avec un surmenage et une
pression trop intense souvent associés au travail, provoquant une mort subite
pas arrêt cardiaque, AVC, mais aussi par suicide...
C’est la même chose ! Je travaille beaucoup autour
du phénomène de stress. Le stress est un état d’alarme intense de l’organisme
face à une agression à laquelle on n’est pas préparé et à laquelle on se
retrouve exposé trop longtemps. Par toute une série de neurotransmetteurs
(adrénaline, noradrénaline...), ce stress va perturber des équilibres,
notamment au niveau des surrénales et du cycle du cortisol. Donc, pour sauver
ces gens-là, il faut leur donner massivement du cortisol. Cela affecte aussi le
système dopaminergique ; la dopamine est l’ultime remède pour essayer de faire
repartir le cœur épuisé. Le stress va déclencher plusieurs phénomènes, dont un
effondrement du système immunitaire. Je vous partage une chose qui me révolte.
J’ai pris en charge des militaires ayant mené des opérations de guerre ou des
missions de maintien de la paix. En ex-Yougoslavie, ils étaient, eux-mêmes,
pris au piège d’une ville assiégée : les Casques bleus n’ont pas le droit de
riposter à un tir ennemi (il faut demander la permission à l’ONU), mais
l’ennemi ne se gêne pas pour tirer. Il a ainsi été décrit une surmortalité des
Casques bleus par suicide, mais aussi par infections psychosomatiques. Or, un
Casque bleu qui a assisté impuissant, à Sarajevo, aux bombardements et a été, lui-même,
menacé par l’ennemi, s’il a déclenché un ulcère de stress, eh bien, il n’est
plus pensionné aujourd’hui, parce qu’on dira qu’il a fait une infection par
Helicobacter Pylori (bactérie responsable) ! Sauf que cette infection est venue
d’un effondrement des défenses immunitaires, qui n’est rien d’autre que l’effet
d’un exposition prolongée à un stress violent.
Vous avez dit un mot-clé : il assiste « impuissant ». Ce qui me frappe
avec le Covid-19, c’est qu’à travers ce confinement imposé, on nous a
contraints à une forme d’impuissance, un figement dont on sait, études à
l’appui, qu’il peut rendre malade...
En tout cas, c’est mettre du mal sur le mal. Il
suffit de se remémorer le film Mon oncle d’Amérique, réalisé par Alain Resnais,
dans lequel le professeur Henri Laborit (que j’ai bien connu) met en parallèle
ses expériences sur les rats, avec ce que les personnes peuvent vivre en
société, et notamment les effets délétères de l’inhibition de l’action pouvant
mener à des somatisations - si le rat est dans une passivité contrainte, qu’il
ne peut pas fuir le danger, en l’occurrence des chocs électriques, il meurt de
stress. Dans le cadre de cette pandémie, je milite pour que nous ne soyons pas
impuissants. J’ai notamment réalisé des contributions sur le site de mon
éditeur, Odile Jacob (voir section « Idées pour aujourd’hui et pour demain »).
Parmi celles-ci, nous avons développé, avec l’urgentiste Hughes Lefort, la
notion de Citoyens experts pour sortir de ce sentiment d’impuissance. Ré-agir.
Sans rentrer dans les détails, que vous trouverez en ligne, si chaque individu
est un acteur contre la pandémie (via, par exemple, les gestes barrières),
c’est un levier de force considérable. Il ne faut donc pas nous regarder comme
des gens impuissants, mais comme des acteurs de la sauvegarde de tout le monde.
C’est une piste essentielle pour sortir d’une situation de passivité à laquelle
on nous a contraints. Plus largement, n’oublions pas que les changements de
société les plus importants sont provoqués par des crises. La crise est un
processus dynamique. Elle mobilise toutes les composantes de la société pour
inventer des réponses qui n’existaient pas avant.
« Comment se fait-il qu’une personne guérisse
et qu’une autre pas ? Comment se fait-il que l’une survive vingt ans à un
cancer alors que l’autre est emportée en quelques mois ? Quel est cet élan
coordinateur qui rassemble les ressources de notre organisme pour que s’opère
la guérison ? C’est tout l’objet de ce livre : explorer le pouvoir de l’esprit
sur le corps. Les expériences du passé, les guérisons miraculeuses et
l’éclairage des découvertes les plus récentes permettent de mieux comprendre le
rôle des puissants facteurs psychiques qui peuvent agir sur le corps. Une
plongée passionnante, guidée par un médecin psychiatre, au cœur des phénomènes
étranges de guérison. Un plaidoyer pour une médecine plus ouverte qui prenne en
compte cette dimension inexplorée de la guérison : la force vitale de l’être
humain. Patrick Clervoy est médecin psychiatre, professeur agrégé du
Val-de-Grâce. Il fut engagé sur plusieurs théâtres d’opérations militaires
importants. Il est l’auteur d’ouvrages sur les phénomènes de traumatisme
psychique et de mécanismes inconscients de violences collectives. »
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